Le tournage du film Pari(s) d'exil

Le tournage de Pari(s) d'exil, c'est avant tout une histoire de rencontres. Avec Zîrek tout d'abord, comédien et poète kurde, réfugié politique à Paris depuis un coup d'état en Turquie. En 2004, j'avais réalisé un film documentaire sur lui, Pense que tu es kurde..., qui relatait son état d'artiste apatride, déchu de sa nationalité. Lorsque qu'il est venu me voir fin 2006, avec un scénario inspiré de sa vie et l'idée de le tourner hors des circuits de financement habituels, j'ai tout de suite dit oui.

Tourner sans moyen ne veut pas dire sans ambition. La première décision a été de faire venir d'Italie une directrice de la photo talentueuse, Diana Canzano, que j'avais rencontrée quelque temps auparavant. Puis de bâtir une équipe de choc avec l'aide de Karell Vestris, une organisatrice née, assistée de Menekse Dogan. C'est sans doute par cette approche exigeante et par l'étonnant parcours de Zîrek que nous avons embarqué dans l'aventure tout une équipe de comédiens et de techniciens, des loueurs de matériel, des propriétaires de lieux, jusqu'à la ville de Paris et au musée de l'Air du Bourget !

Étant réalisateur de métier, j'ai tenu à assister Zîrek pour son passage derrière la caméra, alors qu'il voulait jouer son propre rôle. C'était même une condition que j'avais posée dès le départ avec lui. J'avais déjà fait l'expérience d'un tournage long-métrage dans des conditions similaires et en connaissait les écueils à éviter.
Il a fallu d'abord adapter le scénario à nos moyens minimalistes, puis organiser le projet en un temps record. Lors de nos journées de tournage, Zîrek se concentrait sur son rôle et sur la mise en scène dans laquelle il semblait se transcender. De mon côté, je dirigeais le plateau et lui servais de miroir pour son jeu d'acteur. Je le déchargeais de tout le découpage technique, choisissant chaque soir avec Diana les plans et leur enchaînement, pour construire les séquences du lendemain. Pour autant, je prenais garde de ne pas marquer la réalisation de ma patte, mais d'y contribuer dans l'esprit de Zîrek, ou de ce que j'en avais perçu. C'était son film et l'histoire de sa vie.
Au final, l’œuvre lui ressemble, minimaliste et poétique. A l'image du spectacle qu'il donnait régulièrement, fait de textes courts et de projections de diapos sur des draps blancs avec lesquels il dansait. Ou bien encore de ses lectures en public, alors qu'il s’asseyait sur la tombe du cinéaste Yilmaz Güney au Père Lachaise, un verre de vin à la main. Il m'a souvent fait penser à un comédien de rue. Un bel exercice pour moi et une satisfaction pour une co-réalisation un peu spéciale.

Alors bien sûr, chaque projet a son lot d'histoires. L'élégance aurait voulu que je n'apparaisse pas seulement comme directeur de production aux crédits du film. Une fonction que j'ai d'ailleurs bien peu occupée pendant le tournage, puisque j'étais sur le plateau. Avec le recul, j'ai compris que Zîrek avait pris un gros risque en jouant son propre rôle, ravivant la douleur d'un passé non soldé. Peut-être même s'est-il brûlé les ailes, je n'en ai aucune nouvelle après toutes ces années. Dans ces conditions, il était sans doute difficile pour lui d'accepter certaines contingences matérielles liées aux impératifs de production. Et peut être aussi l'idée qu'un film est toujours une création partagée, y compris lorsqu'on veut mettre en scène son propre journal intime.


Alexandre Eymery



Découvrir le making of du film, réalisé par Karell Vestris :
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